Le bisphénol A présent dans les plastiques agit, même à faible dose, sur l'intestin
Au Canada, il est interdit dans les biberons, mais aux Etats-Unis et en Europe,
les autorités sanitaires s'interrogent encore sur la nocivité du bisphénol A (BPA).
Ce composé, qui avait été étudié dans les années 1930 pour ses propriétés hormonales,
entre dans la composition de nombreux plastiques alimentaires au point qu'on en retrouve
la trace dans les urines de plus de 90 % de la population des pays développés.
L'industrie chimique soutient que le plastifiant est inoffensif, mais les travaux s'accumulent
pour montrer que le composé, assimilé à un perturbateur endocrinien, a bien des effets biologiques.
Dernière en date, une étude conduite par des équipes de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) à
Toulouse s'est intéressée à l'impact du BPA sur l'intestin. Publiée dans les comptes rendus de l'Académie des sciences
américaine (PNAS) le 14 décembre, elle montre un impact chez le rat femelle, y compris à très faible dose.
"Nous avons mis en évidence des effets à des doses considérées jusqu'ici comme sans effet sur les fonctions
biologiques chez l'animal", explique Eric Houdeau, qui a dirigé ces travaux.
L'intestin répond à des concentrations mille fois moins importantes que celles définies pour d'autres tissus.
L'intestin avait jusqu'à présent été considéré comme une simple voie d'absorption du BPA, "et non comme une cible de ce leurre hormonal,
qui mime les oestrogènes", des hormones sexuelles femelles, explique M. Houdeau. La présence de récepteurs à oestrogènes sur la paroi
intestinale avait été montrée dans les années 1990, ce qui a poussé son équipe à tester l'interaction éventuelle avec le BPA
Plusieurs effets ont été constatés : le BPA réduit la perméabilité de l'intestin, ce qui peut faciliter la rétention d'eau.
Il augmente la sensibilité à la douleur viscérale, mais montre aussi une activité anti-inflammatoire. En revanche, les rates
exposées in utero puis à la naissance voient augmenter le risque de développer une maladie inflammatoire sévère à l'âge adulte.
Les chercheurs font l'hypothèse qu'en réduisant la perméabilité de l'intestin, le BPA freine les échanges avec le système immunitaire
et la maturation de celui-ci.
Réviser les normes ?
Eric Houdeau se garde bien de transposer ces résultats à l'homme. "C'est aux autorités sanitaires de voir s'il y a lieu de réviser les
normes d'exposition", dit-il. Après avoir conclu à l'innocuité du BPA aux doses actuelles, l'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments a annoncé fin octobre qu'elle allait réexaminer la littérature scientifique pour voir s'il y a matière à revoir sa position.
Aux Etats-Unis, l'Agence de l'environnement devait remettre ses conclusions fin novembre, mais y a renoncé sans explication.
Est-ce pour inclure dans ses réflexions une nouvelle étude publiée dans le numéro de décembre de la revue Environmental Health Perspective ?
Celle-ci montre que des petites filles dont la mère présentait du BPA dans les urines durant la grossesse se montrent plus agressives et hyperactives
à l'âge de 2 ans.
Hervé Morin
Article parue dans Le Monde du 16/12/2009
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